Quantcast
Channel: Strass de la philosophie
Viewing all articles
Browse latest Browse all 405

Big bang et au-delà / Autour du livre d'Aurélien Barrau

$
0
0



Big Bang et au-delà… Aurélien Barrau nous propose sous ce titre une balade en cosmologie publiée chez Dunod. Il s’agit d’une incursion cosmologique... mais qui peut s’accentuerégalement en direction de la philosophie... Accentuation que je vais du reste tenter par cette présentation sommaire. Tout commence par la fente de l’œil, aussi étroite que celle du tigre pour se protéger de la lumière. Et la physique nous apprend à descendre tout autrement dans la fente du visible, dans ce mince détroit qu’emprunte toute expérience sensible, mais peut-être sans parapluie et comme à fond. Entre les ultra-violets que l’œil ignore et les infra-rouges qu’il méconnaît, se tient une étroite zone, mince comme un cheveu, et que notre vision peut élargir,  recevoir ou rendre autrement sensible, refusant de réduire le monde entier à ce contour extrêmement resserré.
Je vois une petite fréquence de la lumière et tout le reste est plongé dans l’obscur. Me voici donc dans la situation de ne sentir que peu de choses -ce que certains animaux comme les serpents ou la tique ressentent autrement. Et, quand la crainte ou l'angoisse s’y ajoutent le cristallin se rétrécit au point que « ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face » comme savait Pascal. Le soleil est trop lumineux, il fait écran à la pénétration du regard. « Le soleil n’est pas transparent à sa propre lumière ». Son cœur est noir pour nos yeux aveuglés. L’être se retire ainsi dans l’occulte et se trouve voilé, ébloui sous l’étant évident, de sorte que son dévoilement passera par une approche pour ainsi dire biaisée par la pensée, une approche qui supplée à la fragilité de notre regard fort limité. Il y va de ce que Heidegger nommait la différence ontologique, refusant de réduire l’être aux frivolités de l’étant.
Nous voici donc replacés devant les gonds, à la porte de l’Etre, devant ce que Heidegger nomme son retrait. Il nous faut procéder à un désencombrement, à un dévoilement dont les moyens ne sont pas ceux du quotidien mais renvoient pour ainsi dire à une ontologie fondamentale, le fond restant posé dans son inévidence, dans la brume de ce qui n’a ni lumière, ni forme -toute clarté étant comme absorbée, enfoncée dans l’obscur d’une masse infiniment rétractée sur elle-même. Les conditions initiales sont difficiles à dissiper.  L’Etre de ce qui est ne peut jamais être saisi que selon une approche presque négative, dans le sombre fond duquel ne peut s’arracher aucune éclaircie, immédiatement ensevelie au cœur des ténèbres. Sous le magma de cette implosion d’origine, il n’y a pour nous ni antériorité ni extériorité. Reste l’autogénération de l’approche que nous pouvons en entreprendre à partir de presque rien, quelques fusions : « l’univers est si chaud qu’il est opaque à sa propre lumière », avec la difficulté de le dévoiler autant que de le penser. Le modèle d’accès, l’ouverture vers la semence première relèvent non pas d’une phénoménologie, puisque la lumière se trouve absorbée par l’attraction infinie du fond, mais d’une ontologie qui a toujours eu à voir avec la physis, avec la physique  -et pour ainsi dire avec une métaphysique spéciale capable de dépasser la fenêtre minuscule de la phénoménologie du regard, trop aveugle au ciel.
« Nous vivons dans un bain de rayonnements cachés », occultation impossible à clarifier par les ressources d’une pensée immédiate qui refuserait d’en passer, comme Platon déjà savait, par le modèle mathématique: un modèle associé à une incompréhension radicale, une incomplétude essentielle. Devant cette difficulté de voir, mathématiques et techniques entrent en connivence pour sonder l’opacité de la matière. Et ce que ces instruments révèlent est un "visage de l’univers" aux couches superposées et non congruentes, couches pelliculaires, feuilletées dont la topologie pourra esquisser le collage, la singularité d’un passage. En tout cas, cette nuit a un sens terrible. Si l’univers était statique, il n’y aurait pas de nuit, il serait éclairé par sa propre ressource de lumière. L’univers n’est obscur que par sa dispensation, son espacement de plus en plus incompréhensible, difficile à rattraper, dans une espèce de retard dont la nuit montre l’incomplétude.
Et ceci se nomme Big Bang, expansion irrattrapable comme hantée par une « constante cosmologique » qui met le monde en retard, aspire toute possibilité de le stabiliser. Un monde tendu depuis une matière visible vers une matière noire dont témoignerait le boson de Higgs. « Les centres de l’une et de l’autre ne coïncident pas ». La différence, l’écart sont pour ainsi dire originaires, bifurquant en quelque clinamen dont la singularité n'est plus de l'espace fixe ou du temps mesuré. La seule invariance sera donc la variation « l’invariance de fond, le fait qu’il n’existe plus aucune structure figée dans le monde ».
Tout y est relationnel, relatif, comme si, à la physique d’Einstein, il fallait associer la « Logique » de Hegel, abandonnant le principe Aristotélicien de la contradiction et du tiers exclu. L’univers apparaît alors «comme une collection de champs quantiques », une multiplicité selon laquelle on ne saurait exclure des boucles qui la reploient en elle-même, hors d’elle-même selon d’autres principes de répartition. Depuis l’infinité de ces boucles, on peut concevoir un éternel retour non pas d’univers semblables, mais d’univers tout autant dissemblables, faisant coexister le même et l’autre, des "multivers" que la philosophie pourrait tout autant appeler "plurivers".
Selon de tels rebonds, l’origine de l’univers impliquerait tout autant qu’il n’y a pas d’origine, le sans origine devenant originaire, irréductible. Mais comment se font ces rebonds, comme adviennent ces répétitions et retournements, ces dés relancés ? Il y a fort à parier que cela passera par des cordes extrêmement fibrées. L’espace qui nous entoure est pris comme sur le bord d’un entonnoir actuel à trois dimensions. Il s’indure dans un monde à trois feuillets. Mais ce monde qui s’infléchit se trouve en réalité suspendu à un espace à n dimensions virtuelles « qui restent cachées ». Derrière le crible de ce monde réalisant trois dimensions, on doit supposer, d’après la théorie des cordes, six autres dimensions repliées sur elles-mêmes, si serrées qu’on ne peut en tenir compte ici mais qui s’actualisent en d’autres mondes possibles. Les cordes ne se réduisent donc pas au monde actuel et en contiennent une infinité virtuelle –avec « disons 10 puissance 500 de lois physiques » effectivement différentes. C’est là un « un paysage de lois » qui, pour moi, entre en consonance avec les mythes inépuisables de Borges.
C’est en tout cas cette théorie des cordes qui fascine la danse, la balade d’Aurélien Barrau ouvrant à une nouvelle métaphysique, notamment celle de Deleuze concernant le rapport du virtuel à l’actuel, avec des univers parallèles pris dans un « ailleurs » radical dont la philosophie se préoccupe tout autant que la physique. « Se déploierait ainsi une myriade d’univers, chacun correspondant à l’un des possibles de la physique quantique » associée aux tissus des cordes. Et je dois vous confesser que je pense, du côté de la philosophie, des énormités semblables. Il y a donc bien un monde ou Aurélien Barrau rencontre -soyons drôles- Jean-Clet Martin, et un autre où il ne le rencontre pas. Mais ils se sont rencontrés (comme évités) une infinité de fois déjà dans un temps qui est tout autant actuel que virtuel, pris sur le bord d’un trou noir où les lois de la physiques perdent tout contour fixe. Peut-être selon une instabilité radicale que la raison ne sait penser, prise de panique devant un enroulement confondant. Nous pourrons en tout cas reconsidérer autrement Platon, comprendre que Platon explique, par la réminiscence, la moindre connaissance que nous sommes capables de modéliser à partir de nous-mêmes quand la pensée fait un saut, rebondit vers cet ailleurs, dans un trou aussi noir que l’origine d'un rebond (1).



J.-Cl. Martin

(1) cette idée se retrouve tout autrement chez Heidegger dans les Beiträge où on ne passe de la nuit vers l'ouvert que par un saut dans l'origine (Ursprung).

Viewing all articles
Browse latest Browse all 405